Louis me demandait ma définition du bonheur.
L'amour, les yeux dans les yeux de ma bien-aimée.
Le hasard-objectif, l'érotique-voilée, l'explosante-fixe, le magique-circonstanciel : tant de notions sur lesquels je voudrais écrire, ressentir pendant des heures. Ces choses qui sont, ces sons qui surviennent, ces songes... qu'ils me reviennent !
En réalité la surréalité est pour moi ce bonheur.
J'ai plusieurs fois tenté le diable, voulu mettre à l'épreuve ces principes réputés fumeux : j'en fus pour un grand incendie, pour la submersion définitive dans la merveille. Dans l'encre magique depuis 1870.
Je voudrais raconter ce hasard objectif, qui survint la nuit dernière.
Cette soirée au bunker se terminait tôt. Aurélie repartait avec ses amis. J'allais éteindre les lumières et dormir,
j'étais à bout de force. Elle m'enjoint de les suivre pour une folle virée dans Paris. On n'a qu'une vie. Avoir envie
de claquer la porte à la tranquilité : je les suivis.
Bien sûr, Daniel rodait de par la grand-ville, et fut de la partie : depuis son retour d'Inde, comment ne pas le croiser, à une heure indue, vêtu en prince, bardé de son nouvel attirail cinémato-photographique ?
Nous arrivâmes après péripéties maintes aux quais.
...
discussions, récits, jeux de mains.
...
pour raconter bien je devrais utiliser les notes de mon carnet, mais je me rends compte que le dernier épisode de la nuit fait déjà partie de la géographie des sanctuaires, qu'il est déjà manuscrit. Et toute tentative de m'en approcher suscite la fatigue extrême de celui qui n'ose pas travailler.
la mémoire des faits, rien que des fées...
soudain silence.
de la musique...
nous sommes assis presque au bord de l'eau, juste en face et sous notre d'âme, certains du groupe sont un peu soûls.
comme à moi-même, comme pour moi-même j'entends un air de Jazz.
j'entends...comme si je l'attendais, comme s'il m'attendait.
je fais signe à Daniel
et nous voilà adossé à la péniche voisine...
épiant, écoutant, dans une lumière de Sépia, ce musicien.
sa concentration : en faisait-elle un soliste-sollipsite, ou au contraire un homme tout entier lancé dans le don
de soi,
soit ça : sa musique emplissait l'air de plainte et de cris, de murmures de joie infini, de tristesse, de rires : du Blues au Jazz
sortes d'extases,
silences de stases...
(bien sûr, cette photo est nue, dénué de galaxiale musicale, mais la scène est là,
indéniable...)
Il jouait pour la nuit, il était peut être 4 a.m., pour les arbres et les péniches,
pour leur étranges canopées, pour les remous silencieux, pour l'ombre qui dansait
et pour quelques auditeurs emerveillés
L'ombre des anneaux d'airain, hantée, penchée par les néons lui faisait
deux ailes d'un ange de Wenders.
Cette musique, inattendue, inespérée, à mettre les larmes aux yeux, le chaud au coeur
comme on aime cette musique. Etait-ce vers ce point précis des quais que je me lançais
précipitemment, à bout de force, en rejoignant la folle épopée hors du bunker ?
Vers ce moment de paix intérieure qui devait marquer un renouveau de la nuit vers toujours plus de pochoirs
et de péripéties ?
Le hasard Objectif avait encore frappé.
Et le fait glissade fit son apparition.
La musique, dédiée à la nuit, aux remous, remuait dans mon âme la mémoire d'une nuit sans étoile
où je traversai furieux, triste, et sombre comme l'ombre les ponts de paris, si tard après minuit
était-ce après la mort de julie ? je ne saurais le dire.
mais une musique, jaillie de nulle part m'avait heurtée comme un canon. j'étais... dans l'attente d'un signe
d'une cigarette fumée sur la rambarde du pont, il y a si longtemps.
Un air de Jazz, des notes de Blues, impossible de savoir qui, d'entendre d'où.
Juste cette musique douce à mon coeur. Et la nuit apaisée tout d'un coup
Comme la colère tombe, et la peur.
Je voulais alors écrire ma cristallisation : le Dit des Bords de Seine,
de là, la magie "du seul phoniste au saxo roux"
je m'étais bien sûr trompé d'instrument : c'est en fait un Bugle
et bien sûr, je résolvai après bien des histoires,
le mystère de l'air de jazz invisible à pas d'heure sur les pas de minuit
sur les pans de la nuit
un sourire de bonheur à cette coïncidence,
à cette danse des échos
qui se mène chaque nuit aux quatre coins de paris
pour tous ceux qui veulent vivre, mais vivre !